1 Terre Section

Publié le par Silion Keila

1 Terre Section

Le silence règne dans la galerie marchande.

Une absence de bruit qui ne présage rien de bon.

Les événements sont encore bien ancrés dans ma tête. Tout a commencé avec les premiers signes du réchauffement climatique. Les puissances du monde se renvoyaient la balle. Jusqu’au jour où elles ont cessé de …jouer. La guerre atomique a éclaté un vendredi.

Étrangement, ce n’est pas la radioactivité qui a décimé 90% de la population mondiale, mais la tempête propageant le virus zéro.

En tant que survivante, je peux le dire : j’y étais. C’est une histoire singulière et terrible, et, quoique j’aie vingt ans, j’ose à peine remuer la cendre de ce funeste souvenir.

A pas lents, la tête basse, je déambule comme une ombre dans le hall, effleurant les objets rongés par le feu, les lèvres tremblantes, puis j’entends les débris se rompre sous mes pas.

L’absence de toit permet au soleil de glisser entre les ruines, il est haut et brûlant. Les mannequins engravés dans le sable et derrière les vitrines vibrent sous la lumière. Des poussières voltigent. Je les regarde s’éloigner dans un rai de lumière jusqu’à ce qu’elles disparaissent.

Une sorte d’engourdissement s’empare de moi et je me surprends à fredonner une comptine que ma mère me chantait en regardant le ciel au-delà des colonnes de pierre dévastées. Je ressens alors une vive douleur parcourir mon dos, comme si quelque chose me déchire la peau.

Non, je ne suis pas morte, même si, déjà, mes membres paraissent raides.

Mon état doit être causé par la déshydratation. Dorénavant, la Terre est couverte de sable, entièrement couverte de sable. Il n’y a plus une seule étendue d’eau. L’image de mon corps consumé par le virus me fait peur. Je serre les dents et continue à marcher. J’ai mal à la tête et je me sens oppressée par le poids de ce silence. Je ne suis pas la seule survivante. Mais je dois faire attention aux autres, ceux que je nomme les mutants. Rien à voir avec les Marvel Comics. A moins que le fait de dévorer tout ce qui bouge soit un super pouvoir, mais j’en doute. Tous ont un tel appétit qu’ils n’attendent même pas le coucher du soleil. Et pourtant, je me refuse de les appeler les monstres. En faisant cela, j’ai l’impression d’être encore humaine et de ressentir de l’empathie. Bref, d’être encore du bon côté de la barrière.

Je retiens mon souffle et debout, immobile, j’attends. Le vent se met à s’agiter plus fort. Il produit d’interminables sifflements en courant au ras du sol, gémissant dans les trous des murs, soulevant une montagne de sable.

Je trouve un reste d’énergie pour avancer. Une fois solidement plantée sur mes jambes, j’enlève la fine pellicule de sable qui s’était collée sur mon corps. Plus loin, à moitié enfoui sous des cendres, je découvre un sac. Celui d’une femme. Je le ramasse et vérifie son contenu : un vieux paquet de mouchoirs, un morceau d’agenda, et deux barres de céréales. DEUX BARRES ! Cela fait deux jours que je n’ai pas mangé. Je suis affamée. Sans réfléchir, je les engloutis.

Peu à peu, la tempête s’apaise.

Et coincée dans ce bâtiment dévasté, je rêve d’un immense verre d’eau.

Coincée est un bien grand mot. Disons que j’ai peur de m’aventurer toute seule, dehors, dans un monde qui n’est plus tout à fait le mien. Je suis à l’intersection de deux univers. Je dois trouver une motivation. Je n’ai pas inspecté tous les magasins de la galerie marchande. Je ne désespère pas d’y trouver des vivres, de l’eau et des armes. Des survivants se planquent peut-être comme moi. Mais j’en doute. Les seuls bruits qui brisent ce silence oppressant sont leurs râles dans la nuit. Parfois, je distingue des formes qui s’accroissent de plus en plus.

J’imagine les mutants enveloppés dans leurs peaux...grises, les visages révulsés par la géhenne qui saignent , par la bouche , par les yeux marchant comme des automates à l’affût du moindre mouvement. La fiction a dépassé la réalité à quelques détails près.

Et les détails …je ne suis pas pressée de les découvrir !  

Je me laisse tomber de tout mon poids sur le sable en poussant un soupir. Le soleil a disparu, et quelques étoiles disséminées dans le ciel nocturne s’éclairent peu à peu. Je savoure les premiers instants de fraîcheur. Je suis inquiète à propos de ma peau. Je constate avec amertume que cette dernière s’est durcie et s’est transformée en une sorte de carapace dont la couleur est indéfinissable. Elle n’est pas très souple, mais elle me protège de l’aridité du sable et de la chaleur omniprésente. J’ai la sensation que la carapace s’étend chaque jour davantage sur mes bras et mon visage.

L’idée de ressembler à une mutante me donne des sueurs froides.

La lune semble accrocher au ciel nocturne pour l’éternité. Je conserve dans ma main une poignée de sable comme un geste de lutte dérisoire. Comme la flamme d’une bougie, je vacille. Mes paupières deviennent lourdes et je sombre dans un sommeil où les ténèbres me guettent.

Ankylosée, brisée, affamée, horriblement assoiffée, je me rends compte que le lendemain matin, je suis toujours en vie. Je décide de dormir toute la journée, et la nuit suivante.

Rien ne presse. Le temps ne me concerne plus.

Juste avant que le soleil ne se lève, j’émerge avec une sensation d’étouffement.

Un choc infime sur mon front finit de me réveiller. Du liquide me dégouline du nez jusqu’aux lèvres. Une goutte me touche l’œil, brouillant ma vue ; une autre m’atteint au menton.

Ensuite, pétrifiée, abasourdie, je les vois. Les ombres !   

Nous voilà face à face.

Je les regarde et je leur souris.

Eux ne sourient pas. Leurs bouches débordent d’un liquide noirâtre peu appétissant. Ils me fixent en silence et leurs yeux brûlent d’hostilité. 

Les mutants sont nés de la poussière. Drôle d’héritage …A présent, je les distingue clairement. Ils sont sales, gris et squelettiques. Des destructeurs mûris à l’ombre de notre égoïsme. Prêts à s’épanouir dans ce grand désert où il ne fait pas bon de se perdre pour un humain.

J’attends qu’ils se jettent sur moi comme des voraces. Un éclair de colère vite réprimé déforme mon visage. Je suis trop épuisée pour me battre. Il fait trop chaud. Il fait trop sec.

A ma grande surprise, le groupe ne bouge pas. Les mutants sont assemblés autour de moi. Ils me regardent comme une intruse.

Tout à coup, c’est un tourbillon. Tout un flot de paroles vient s’insinuer dans ma tête. Un langage inconnu qui devient spontanément familier.

Une sorte de voix intérieure qui me débite en boucle le même laïus : bienvenue !  

Tout se bouscule. Nous communiquons.

Ils n’ont pas l’intention de me dévorer. Ils attendent patiemment que ma transformation touche à sa fin.

Mes sentiments sont confus. Mon humanité va s’éteindre, mais je vais continuer à exister.

Finalement, je me rends compte que mon vœu a été exaucé même si ce n’est pas de cette façon que je voyais la suite des événements …

Le sentiment de peur scotché à mon cœur s’est décollé.

Visage révulsé, je me redresse et c’est avec la bouche qui saigne que je me laisse guider par la petite assemblée au beau milieu de cet océan désertique.  

 

Publié dans 1 Terre Section

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :